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Décisions de justice : ne pas confondre open data et accès à une copie

Tech&droit - Données, Intelligence artificielle
14/02/2019
Un arrêt de la cour d’appel de Douai vient une nouvelle fois rappeler la distinction entre open data et accès aux décisions de justice. Première application pratique d’une circulaire du 19 décembre 2018, cet arrêt est également intéressant à examiner à l’aune du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Les explications de Bertrand Cassar, doctorant en droit du numérique.
Dans un arrêt de la cour d’appel de Douai du 21 janvier 2019, le Premier président a statué en matière gracieuse en ce qui concerne la délivrance d’une copie d’un arrêt de ladite cour d’appel. Dans les faits, une société – dont l’activité consiste en la mise à disposition de manière pseudonymisée de jugements et de décisions de justice ainsi qu’en la faculté pour les utilisateurs de ce service de pouvoir facilement retracer l’ensemble de la procédure judiciaire – a demandé la délivrance d’une copie d’un arrêt auprès du greffe de la cour d’appel et s’est vu opposer un refus par le directeur principal des services (Bregeras G., Doctrine confirmée dans son droit d’accès aux décisions de justice, Les Échos Entrepreneurs, 6 févr. 2019, consulté le 12 février 2019).

Sans rentrer plus avant dans la procédure, le demandeur forma alors une requête auprès du premier président pour se faire accorder la délivrance de cette copie de décision. Le magistrat, statuant à titre gracieux a accepté cette requête, enjoignant ainsi au directeur des services du greffe de communiquer l’arrêt demandé en date du 13 avril 2006.

Cet arrêt de la cour d’appel de Douai semble cohérent avec un autre arrêt rendu par la cour d’appel de Paris un mois auparavant (CA Paris, 18 déc. 2018, n° 17/22211, n° Portalis 35L7-V-B7B-B4SPF). Toutefois, il est intéressant d’analyser la motivation du premier président.

Nouveau rappel sur la distinction diffusion/accès aux décisions de justice
Sans l’écrire expressément, l’arrêt du 21 janvier 2019 rappelle la distinction entre la diffusion et l’accès à une copie d’une décision de justice ; ou autrement dit, entre la publicité et la publication d’une décision de justice. Si la première notion se rattache, soit au service public de la diffusion du droit par l'internet (Légifrance) (D. n° 2002-1064, 7 août 2002, NOR : PRMX0205836D, relatif au service public de la diffusion du droit par l’internet), soit à la notion d’open data des décisions de justice (Cadiet L., L’Open data des décisions de justice, 2018, La documentation française, Rapport au Garde des sceaux, ministre de la Justice) définie en matière judiciaire à l’article L. 111-3 du Code de l’organisation judiciaire créé par l’article 21 de la loi pour une République numérique (L. n° 2016-1321, 7 oct. 2016, pour une République numérique, art. 21) (dont l’on peut pour l’instant regretter l’absence de décret d’application), le second concept se rattache, quant à lui, à un droit positif constant.

Dans la continuité de l’article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le principe de l’accès à des décisions de justice par des tiers est précisé à l’article 11-3 de la loi du 5 juillet 1972 (L. n° 72-626, 5 juil. 1972, instituant un juge de l'exécution et relative à la réforme de la procédure civile), qui pose comme principe que « les tiers sont en droit de se faire délivrer copie des jugements prononcés publiquement ». C’est d’ailleurs ce que rappelle le premier président de la cour d’appel lorsqu’il motive sa décision.
À ce stade de notre réflexion, l’on pourrait d’ailleurs préciser qu’il existe de nombreux régimes dérogatoires, tant pour l’accès que pour la diffusion des décisions de justice, dont notamment certaines dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante ou bien encore l’article R. 123-154 du Code de commerce.

Les spécificités de l’arrêt du 21 janvier 2019
Toutefois, la motivation de la décision du 21 janvier 2019 est particulièrement intéressante, en ce sens qu’elle rappelle la proportionnalité qui existe entre l’accès aux décisions de justice et le respect de la protection des données à caractère personnel contenu en son sein (Cassar B., De la pseudonymisation et l’anonymisation des données à caractère jurisprudentiel, mémoire, dir. Saint-Aubin T., 2016, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne). Nonobstant le fait qu’une décision de justice est rendue au nom et pour le compte du peuple français, c’est dans un souci de protection des parties au litige que certaines décisions sont rendues à huis clos ou ne sont pas diffusables.
Enfin, l’on soulignera la différence majeure entre l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 18 décembre 2018 précité et celui de la cour d’appel de Douai, au sens où ce dernier prend en considération la circulaire du 19 décembre 2018 sur la communication de décisions judiciaires à des tiers à l’instance (Circ., 19 déc. 2018, NOR : JUSB1833465N, relative à la communication de décisions judiciaires civiles et pénales aux tiers à l’instance). Ainsi, et comme le rappelle le premier président, « (…) s’agissant d’une demande isolée, il n’existe pas de raison juridique permettant de s’opposer à la communication de la décision sollicitée ». Appliquant à la lettre la circulaire, l’on constate que la cour d’appel de Douai confirme la volonté de ne pas obliger les services des greffes des juridictions à accepter toute demande de communication en masse de décisions de justice.

Cette jurisprudence s’inscrit également dans la continuité de l’actuel projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (TA Sénat n° 61, 2018-2019), qui dispose au 2° du II de l’article 19 que : « les tiers peuvent se faire délivrer copie des décisions de justice par le greffe de la juridiction concernée conformément aux règles applicables en matière civile ou pénale et sous réserve des demandes abusives, en particulier par leur nombre ou par leur caractère répétitif ou systématique ».

Cet arrêt ne va pas dans un sens contraire à l’ouverture des décisions de justice (l’open data), mais rappelle bien la différence entre la diffusion au public de jeux de données pseudonymisées et l’accès à une copie d’une décision non anonymisée (Les magistrats n’ont pas à rougir des décisions qu’ils rendent, Le Point, 21 mars 2017, consulté le 12 février 2019).
Source : Actualités du droit