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Incidence sur le délai de déclaration de créance du caractère publié ou non du contrat liant le créancier au débiteur

Affaires - Commercial
28/01/2022
Est rejetée la demande de relevé de forclusion du créancier – ayant déclaré sa créance hors du délai légal – qui soutient que l’acte de cession de parts sociales sur lequel était fondée sa créance constituait un contrat publié obligeant le mandataire judiciaire à l’aviser personnellement d’avoir à procéder à cette déclaration… alors que, en l’espèce, l’acte de cession visé ne pouvait être regardé comme un contrat publié.
En application des dispositions de l’article L. 622-24, alinéa 1, du code de commerce, tous les créanciers (à l’exception des salariés) dont la créance est née antérieurement au jugement d’ouverture de la procédure collective adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire dans un délai de deux mois à compter de la publication au BODACC du jugement d’ouverture ; lorsqu’un créancier a été relevé de forclusion, conformément à l'article L. 622-26 du même code, le délai ne court qu'à compter de la notification de cette décision et il est alors réduit de moitié.
 
Dans le cas de créanciers liés au débiteur par un contrat publié, ceux-ci sont avertis personnellement ou, s'il y a lieu, à domicile élu. Le délai de déclaration court à leur égard à compter de la notification de cet avertissement, que le mandataire judiciaire doit leur adresser par lettre recommandée avec demande d'avis de réception (C. com., art. R. 622-21).
 
La cour d’appel précise ici ce qu’il faut entendre par contrat publié.
 
Sur la réalité du caractère publié de l’acte de cession de parts sociales…

En l’espèce, la SARL X… avait cédé à la SAS Y…, par acte du 29 juin 2018, les parts sociales qu’elle détenait dans une société Z… moyennant le prix de 144 583,23 euros – payable par mensualités à compter de l'acte de cession – et le remboursement des comptes-courants d'associés détenus par la société X… et son dirigeant, soit la somme de 64 000 euros. La société Y… n’ayant pas exécuté ses obligations, la société X… l’avait assignée devant le tribunal de commerce, le 30 juillet 2019, en paiement de la somme de 208 583,23 euros.
 
Une procédure de redressement judiciaire ayant été ouverte à l’égard de la société Y… par jugement du 24 juin 2020 – publié au BODACC le 28 juin 2020 –, la société X… avait déclaré sa créance par lettre recommandée avec demande d'avis de réception datée du 28 août suivant et reçue par le mandataire judiciaire le 30 août 2020. Par lettre du 14 septembre 2020, ce dernier l'avait informée que le délai de déclaration était expiré depuis le 28 août 2020 et que sa créance ne pouvait dès lors figurer au passif de la procédure collective.
 
Considérant que sa déclaration du 28 août 2020 n'était pas tardive, puisque l'acte de cession avait été publié au service de l'enregistrement le 27 juillet 2018 et que le mandataire judiciaire ne l’avait pas avertie d'avoir à déclarer sa créance dans les quinze jours de l'ouverture de la procédure collective, la société X… avait saisi le juge-commissaire d'une requête en relevé de forclusion. Par ordonnance du 25 mars 2021, celui-ci avait dit que l'acte de cession du 29 juin 2018 était un contrat publié au sens de l’article L. 622-24, alinéa 1, du code de commerce susmentionné, opposable aux tiers et, en conséquence, avait relevé la société X… de la forclusion encourue, l'invitant à produire sa créance entre les mains du mandataire judiciaire.

Infirmant cette ordonnance par jugement du 13 juillet 2021, le tribunal de commerce avait rejeté la demande en relevé de forclusion présentée par la société X…, retenant que cette société ne pouvait se prévaloir d'un contrat publié au sens de l’article précité et que le mandataire judiciaire n'était donc pas tenu de l'avertir, dans le délai de quinze jours à compter du jugement d'ouverture, d'avoir à déclarer sa créance dans le délai de deux mois fixé par l'article R. 622-24 du code de commerce. La société X… a contesté ce jugement.
 
Prétendant que l'acte de cession sur lequel est fondée sa créance constituait bien un contrat publié pour avoir fait l'objet d'une publication au registre du commerce et des sociétés (24 août 2018), au BODACC (6 septembre 2018) et dans un journal d'annonces légales (10 août 2018) ayant pour effet de la rendre opposable aux tiers, la société X… persiste à soutenir, devant la cour d’appel, qu'elle aurait dû recevoir un avis du mandataire judiciaire d'avoir à déclarer sa créance par lettre recommandée avec avis de réception dans le délai de quinze jours suivant l'ouverture de la procédure collective de la société Y…
 
Recadrage de la cour d’appel

Les juges du fond rappellent qu’il est de principe que l'article L. 622-24, alinéa 1, du code de commerce "ne distingue pas selon la finalité de la publication et la nature de la créance concernée ; ainsi, il importe peu que la publication, laquelle peut être obligatoire ou facultative, ait pour effet de rendre un contrat opposable aux tiers ou qu'elle vise le contrat ou la créance qui en découle".
 
En l’espèce, l'acte de cession et les statuts modifiés ont été publiés au registre du commerce et des sociétés sous le numéro d’inscription de la société Z… et non sous celui de la SAS Y…, débitrice du prix de cession ; de même, la publication au BODACC de la modification survenue sur le nom commercial et l'administration l'a également été sous le numéro RCS de la société Z… et ne pouvait permettre d'accéder à l'acte de cession. Par ailleurs, la publication dans un journal d'annonces légales deux ans avant l'ouverture du redressement judiciaire de la société Y… visait seulement le remplacement du gérant de la société Z… à la suite de l'acte de cession de parts ; elle ne peut être considérée comme ayant été faite dans un registre accessible au public et que le mandataire judiciaire aurait pu alors consulter.

Ainsi, ces publications ne pouvaient permettre au mandataire judiciaire d'accéder, au moment de l'ouverture de la procédure collective, à l'information relative à l'existence de la cession de parts du 29 juin 2018. C'est donc à juste titre que le premier juge a considéré que cet acte de cession ne pouvait être regardé comme un contrat publié au sens de l'article L. 622-24, alinéa 1, du code de commerce qui aurait obligé le mandataire judiciaire à adresser à la société X…, par lettre recommandée, un avertissement d'avoir à déclarer sa créance, permettant alors à celle-ci de bénéficier d'un délai de déclaration courant à compter de la notification dudit avertissement.

S’il n'est pas discuté que la créance de la société X… a été déclarée le 30 août 2020 – soit après l'expiration du délai de deux mois suivant la publication du jugement d’ouverture au BODACC –, cette société n'établit pas que sa défaillance à déclarer sa créance dans le délai imparti n'est pas due à son fait au sens de l’article L. 622-26 du code de commerce, alors qu'ayant assigné la société Y… en paiement des sommes dues au titre de l'acte de cession elle n'ignorait pas les difficultés financières de cette dernière et qu'ayant été avisée par le mandataire judiciaire par lettre du 24 juillet 2020, d'avoir à déclarer sa créance, elle disposait encore d'un délai de un mois jusqu'au 28 août 2020 pour accomplir cette formalité… ce qu'elle s'est abstenue de faire.

Par conséquent, le jugement du 13 juillet 2021 qui a rejeté la demande en relevé de forclusion ne peut qu’être confirmé dans toutes ses dispositions.
 
Pour aller plus loin
Pour des précisions complémentaires sur les délais de déclaration des créances, se reporter aux nos 3663 et s. de l’édition 2021 du Lamy droit commercial.




 
Source : Actualités du droit