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Cryptoactifs : la Banque de France réitère sa grande méfiance

Tech&droit - Blockchain
07/03/2018
Un mois après avoir partagé sa position lors d’une audition menée par la Commission des finances du Sénat, la Banque de France vient de nouveau, le 5 mars dernier, de faire part de son inquiétude face au développement des cryptoactifs.
L’objectif de cette communication : expliquer « en quoi les cryptoactifs ne sont pas des monnaies, présent(er) les risques auxquels les cryptoactifs exposent leurs utilisateurs ainsi que les réponses réglementaires identifiées à ce jour afin de les prévenir ».

Le discours est désormais on ne peut plus classique : la blockchain c’est bien, les cryptoactifs, c’est dangereux.
Un focus qui met presque exclusivement l’accent sur les risques et bien peu sur les perspectives (hormis si l’on considère la régulation comme une perspective)…

Les risques démesurés soulevés par les cryptoactifs
À lire cette note, ces nouveaux assets (bitcoin, ether, ripple, monero, etc.) ne seraient que risques. La Banque de France en identifie quatre principaux :
  • volatilité ;
  • cyber‑attaque (piratage des plateformes et des portefeuilles électroniques) ;
  • blanchiment d’argent et de financement du terrorisme ;
  • coût environnemental.
Des risques bien présents, mais qui reposent parfois sur des approximations, notamment s’agissant de caractère prétendument anonyme des échanges (la qualification exacte est « pseudonyme » : sur les blockchains publiques, l’ensemble des transactions accomplies par une personne est accessible).
Relevons également que la Banque de France assimile les tokens, ces jetons émis lors d’une initial coin offering (sur ces ICO, lire Rémy André Ozcan : « Les tokens pourraient devenir les titres financiers de demain », Actualités du droit, 6 mars 2018), à des cryptoactifs : « Ils s’apparentent ainsi à une forme supplémentaire de cryptoactifs, enrichis de droits spécifiques (droits d’accès privilégié au projet financé, droit de vote, etc.) » et prend le soin de préciser que « Les limites et les risques des cryptoactifs décrits dans le présent focus s’appliquent donc aussi à ces tokens ».

L’exclusion de la qualification de monnaie
Pour la Banque de France, ces cryptoactifs « sont souvent émis en fonction d’une puissance de calcul informatique, sans considération des besoins de l’économie et de ses échanges, ce qui ne permet pas de leur attacher une valeur intrinsèque ».
Cette autorité relève que « Les cryptoactifs ne remplissent pas ou que très partiellement les trois fonctions dévolues à la monnaie » :
  • ils peuvent constituer des unités de compte, en raison de leur forte volatilité ;
  • les crypto‑actifs sont bien moins efficaces que la monnaie qui a cours légal comme intermédiaires des échanges (volatilité ; frais de transactions ; aucune garantie de remboursement en cas de fraude) ;
  • leur absence de valeur intrinsèque ne permet pas non plus d’en faire des réserves de valeur (aucun sous‑jacent réel).
Et juridiquement, considère que ces actifs ne peuvent être qualifiés ni de :
  • monnaie ayant cours légal (CMF, art. L. 111-1) ;
  • ni de moyens de paiement au sens du Code monétaire et financier (CMF, art. L. 315‑1).
Une attitude de la Banque de France qui contraste avec celle de l’AMF
« La Banque de France et l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) préconisent un élargissement de l’encadrement des prestations de service associées aux cryptoactifs de manière à couvrir deux champs ».

Concrètement, ces autorités suggèrent de :
  • réglementer les services offerts à l’interface entre la sphère réelle et les cryptoactifs (création d’un statut de prestataires de services en cryptoactifs, qui pourrait ressembler à la bitlicence dans l'État de New York : « Un statut de prestataires de service en cryptoactifs permettrait, au-delà de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme qui constitue une priorité, de les soumettre à des règles portant notamment sur la sécurité des opérations et sur la protection de la clientèle. Ce statut pourrait également couvrir les services concernant les transactions entre cryptoactifs ») ;
  • Encadrer les placements en cryptoactifs (« L’encadrement réglementaire des prestataires de service en cryptoactifs pourrait (notamment) être complété d’une limitation de la possibilité pour certaines entreprises régulées (banques, assurances, sociétés de gestion...) d’intervenir sur ces cryptoactifs »).
Difficile, vraiment, de cerner une position claire de la France sur ces cryptoactifs. D’un côté l’AMF qui à travers sa note d’étape de fin février dernier (Autorité des marchés financiers, 22 févr. 2018 ; avec une approche distincte de son homologue suisse, v. Les recommandations de l’AMF suisse sur les ICO, Actualités du droit, 20 févr. 2018) révèle une démarche constructive, de l’autre la Banque de France et l’Autorité de contrôle et de prudentiel (ACPR) (v. Auditions au Sénat sur la blockchain : les incompréhensions demeurent..., Actualités du droit, 7 févr. 2018). En attendant la position de la Commission Landau mise en place en janvier dernier par Bruno Le Maire (v. Lancement par Bercy d’une mission sur les cryptomonnaies, Actualités du droit, 17 janv. 2018) et les conclusions de la mission d’information qui va démarrer à la Commission des finances de l’Assemblée nationale, confiée à Pierre Person, précisément sur ce sujet des cryptoactifs (qui pourrait, elles, être connues en juin). Une intense réflexion, donc, qui pourrait déboucher sur des mesures dans la loi de finances pour 2019.

Les approches sont également très disparates ailleurs dans le monde, même si un consensus se dégage autour d’une volonté de réguler plus ou moins strictement ces cryptoactifs. Un sujet qui devrait être abordé lors du prochain G20, qui se déroulera en Argentine en avril prochain…
Source : Actualités du droit