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L’île de Malte en passe de devenir l‘eldorado européen de la blockchain ?

Tech&droit - Blockchain
29/05/2018
Alors qu’en France l’écosystème blockchain n’a, à deux exceptions près, pas encore été encadré juridiquement, d’autres pays se sont déjà penchés sur cette question afin d’attirer de nouvelles entreprises sur leurs territoires et conquérir de nouveaux marchés en pleine croissance, parmi lesquels Singapour, la Suisse ou encore Malte. Les explications de Céline Moille, avocat associé chez Yellaw, docteur en droit.
Pionnière sur le sujet en Europe, l’île semble en effet tout mettre en œuvre pour séduire les acteurs de la technologie blockchain et des cryptomonnaies et ainsi devenir un pays cryptofriendly !
 
Cet engouement des entreprises de cryptodevises pour la petite île méditerranéenne est dû en grande partie à la volonté politique du gouvernement maltais de créer au sein de l’île un environnement très favorable à ces dernières.
 
La volonté de Malte de se positionner comme État leader en matière de blockchain
À l’instar de Binance, la première plateforme d’échange de cryptomonnaies au monde en terme de volume (1,7 milliard de dollars par jour), d’autres entreprises de l’écosystème blockchain souhaitent aujourd’hui installer leurs bureaux à Malte.

C’est notamment le cas d’Okex, la bourse chinoise de cryptodevises basée à Hong Kong, qui vient tout de juste de s’implanter sur l’île.
 
Joseph Muscat, le Premier ministre, souhaite en effet que Malte devienne un pays leader des activités ayant trait à la bblockchain et aux cryptomonnaies. Il a ainsi déclaré que Malte allait devenir le premier pays au monde à « effectuer un premier pas » vers ce secteur. À travers cette initiative, le chef du gouvernement souligne que l’île compte « se rendre sur un terrain inconnu, pour lequel nous ne disposons d’aucune carte – mais nous avancerons, nous apprendrons et nous serons en première ligne ».
 
De son côté, Silvio Schembri, ssecrétaire parlementaire des services financiers, d’économie numérique et d’innovation, estime que la régulation des cryptomonnaies garantira trois grands principes indispensables pour une économie saine : protéger les investisseurs, s’assurer de l’impartialité du marché et de sa solidité financière. Et pour Silvio Schembri, la présence de Binance dans la région permettra d’installer Malte comme la « Blockchain Island ».
 
Cette position d’un gouvernement sur les cryptomonnaies est une première mondiale.
 
En Europe, c’est au cours de la convention européenne du Digital Day du 10 avril 2018 que 22 pays européens ont signé un partenariat, dont Malte, avec comme objectif, que « l'Europe saisisse toutes les opportunités offertes par l’écosystème blockchain, en s'appuyant sur les initiatives existantes, en mettant en commun les forces et en collaborant davantage sur des actions spécifiques vers une infrastructure de blocs européens pour les services d'intérêt public ». L’annonce officielle mettait en lumière l’idée d’« une coopération étroite entre les États membres (qui) aidera à éviter les démarches divergentes, et pourra garantir l’interopérabilité ainsi qu’un déploiement plus large des services blockchains. Ce partenariat contribuera à la création d’un environnement favorable, en conformité totale avec les lois de l’Union européenne et avec des modèles de gouvernances clairs, ce qui aidera les services blockchains à prospérer à travers l’Europe ».
 
Les États européens sont en effet divisés quant à la réglementation à adopter en matière de cryptomonnaies. Si certains sont réticents, d’autres sont proactifs et souhaitent en devenir des acteurs majeurs.
 
Malte a donc pour objectif de devenir le centre de gravité de ce nouveau marché en plein essor. Et les pouvoirs politiques donnent l’exemple : le ministre des Transports maltais a ainsi annoncé collaborer lui-même avec la start-up Omnitude qui utilise la technologie blockchain pour améliorer la fiabilité des transports en commun.
 
Trois lois pour sécuriser les investisseurs et attirer les entrepreneurs
Afin de parfaire leurs atouts, outre une fiscalité d’ores et déjà pour le moins attractive en matière d‘impôt sur les sociétés et des produits financiers somme toute avantageux (Malte offre des avantages et des taux réduits aux investisseurs étrangers, comme une taxe de 5 % au lieu des 35 % habituels en matière d’impôts sur les sociétés, des crédits de taxe en fonction des investissements réalisés, une baisse des impôts sur les bénéfices réinvestis, des permis de travail illimités pour les actionnaires détenant plus de 40 % de la société, etc., v. https://www.legal-malta.com/tax/), trois projets de loi ont été publiés le 22 mai 2018 et déposés au Parlement maltais, dans le but de faciliter et d’encadrer les technologies de comptabilité numérique.
 
Ces trois projets de loi couvrent les trois principaux piliers de la réglementation nécessaire pour permettre à Malte de devenir l’eldorado de la technologie blockchain et des cryptomonnaies, à savoir :
 
  1. L’Innovative Technology Arrangements and Services Act , qui définit le régime d’enregistrement des fournisseurs de services technologiques et la certification des accords technologiques. 
  2. Le Malta Digital Innovation Authority Act, qui prévoit la mise en place de la Malta Digital Innovation Authority (MDIA) qui travaillera en étroite collaboration avec le régulateur des services financiers (MFSA, Malta Financial Services Authority) pour s’assurer que les entreprises DLT sont assistées, guidées et réglementées dans leur mise en place et leur fonctionnement.
  3. Le Virtual Financial Assets Actqui précise le cadre et le régime de réglementation relatif à la fourniture de certains services utilisant les monnaies virtuelles.
Précisons que l’Autorité des services financiers de Malte (MFSA) vient d’ailleurs de publier des documents concernant la mise en place d’un « Test d’instrument financier » pour définir la nature des jetons vendus lors d’une ICO.

Le token est, par exemple, ainsi défini :  a « virtual token is a DLT asset which has no utility, value or application outside of the DLT platform on which it was issued and that cannot be exchanged for funds on such platform or with the issuer of such DLT asset (…) »  (un token n’a pas d’utilité, de valeur ou d’application en dehors de la plateforme DLT sur laquelle il a été émis et il ne peut être échangé contre des fonds sur cette plateforme ou avec l’émetteur d’un tel actif DLT).

Baptisé « Financial Instrument Test », cet outil permettra au gouvernement maltais de catégoriser les jetons utilisés lors de levées de fonds virtuelles (Initial Coin Offering).

Ce "test" indique par exemple si un actif DLT (Distributed Ledger Technology) relève bien de l’Union européenne et des réglementations financières, comme la loi sur les actifs financiers (nommés Virtual Financial Assets, ou VFAA).
 
Les prises de position de ces lois
Alors que tout est encore à construire juridiquement, Malte souhaite prendre une longueur d’avance en légiférant de la sorte.

Il est ainsi précisé dans la loi que « The objects of this Bill are to regulate the field of Initial Virtual Financial Asset Offerings and Virtual Financial Assets and to make provision for other matters ancillary or incidental thereto or connected therewith » c’est-à-dire de réglementer le domaine des ICO’s et des actifs financiers virtuels et de prendre des dispositions sur de nombreuses questions accessoires ou connexes à ces activités.
 
Quelques subtilités juridiques sont d’ores et déjà à souligner.
 
Le concept de VFA correspond dans le projet de loi à toute forme d’enregistrement de support numérique utilisé comme support d’échange numérique, unité de compte ou encore réserve de valeur excluant la monnaie électronique, les instruments financiers et les jetons virtuels.
 
Cette nouvelle réglementation opère la distinction entre le concept de monnaie, telles que le bitcoin ou l’ether, et d’autres actifs virtuels qui n’ont pas d’utilité, de valeur ou d’application en dehors d’une plateforme et qui ne peuvent pas être échangés contre des fonds.
 
Ledit projet entend également apporter de la clarté, en précisant que « la technologie des registres distribués ou DLT désigne un système de base de données dans lequel les informations sont enregistrées, partagées de manière consensuelle et synchronisées sur un réseau de plusieurs nœuds ».

Au sein de la loi, un « asset » DLT signifie :
  • un jeton virtuel ;
  • un actif financier virtuel ;
  • de la monnaie électronique ; ou
  • un instrument financier.
Les Initial VFA Offerings (ICO’s) sont quant à elles définies comme des méthodes de collecte de fonds DLT permettant à un émetteur, qui doit être une personne morale dûment constituée à Malte, d’émettre ou de proposer une VFA à ou depuis Malte, et de l’offrir au grand public en échange de fonds.

Voici les liens pour suivre l’examen de ces trois textes devant le Parlement maltais : Dès leur adoption qui ne saurait tarder (probablement fin juin 2018), ces lois encadreront ainsi l’ensemble des acteurs, y compris tous les intermédiaires tels que les courtiers, les bourses, les fournisseurs de portefeuilles, les conseillers en gestion de patrimoine et les teneurs de marché opérant dans des monnaies virtuelles…
Source : Actualités du droit