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Les dirigeants de start-up, de plus en plus nombreux à envisager le rachat ?

Tech&droit - Start-up
04/06/2018
Le rachat de start-up est, en France, loin d’avoir bonne presse, notamment parce que dans près d’un cas sur deux, l’acquéreur est étranger. Mais est-ce toujours vrai ? Une récente étude de l’Institut Friedland révèle que la perspective d’un rachat séduit un nombre croissant de start-up, avec des acheteurs de plus en plus intéressés par ces pépites.
Un chiffre est révélateur de cette tendance : en 2017, 30 % des start-uper indiquaient songer au rachat, contre 1 % en 2005 (Rachat de start-up : du mythe à l’intention, Institut Friedland, mai 2018). Un chiffre en constante progression qui montre que le tabou semble progressivement en train de tomber.
 
De même, cette vision qui voudrait que le rachat soit signe d’un opportunisme, d’un manque de volonté du dirigeant. Cette opinion qui prévalait jusqu’en 2007 est également de moins en moins vraie selon l’Institut Friedland : « Se donner le rachat comme perspective, c’est (aussi) se montrer plus optimiste et viser une approche raisonnée (si ce n’est raisonnable) de la croissance entrepreneuriale. Le rachat d’une start-up n’est pas nécessairement un acte d’abandon ou de prédation, mais une façon de croître progressivement. Dans de nombreux cas, les start-up vivent le rachat en préservant leur autonomie stratégique ».














Si l’on ne dispose pas de statistiques assez précises sur les start-up et encore moins sur leur rachat, on peut néanmoins relever qu’ « en 2012, seules quelques grandes entreprises du CAC 40 étaient en relation avec des start-up : en 2017, 100 % » rappellent Grégoire Postel-Vinay, responsable de la stratégie, direction générale des entreprises, ministère de l’Économie et des Finances. Étant précisé qu’en France, on dénombre 250 rachats de start-up par an, dont une cinquantaine impliquant des groupes étrangers.
 
L’étude de l’institut Friedland met également en exergue la progression du rachat comme solution de sortie : alors qu’en 2005, 1 % seulement des start-uper songeaient au rachat de leur entreprise, ils étaient 30 % en 2017.
 
Autre évolution à souligner, le profil des investisseurs : pour Bertin Nahum, fondateur de Quantum Surgical, « La différence majeure de la dernière décennie c’est un changement de mentalité : le métier d'investisseur n’est plus un métier de banquier. Maintenant les investisseurs ont un prisme entrepreneur ». Et l’on observe une vraie régénérescence et un rajeunissement des business angels.
 
Pour Jean-Noël Barrot, député des Yvelines et Vice-président de la Commission des Finances, « La problématique du rachat devient prégnante parce que l’accès au marché boursier est devenu plus difficile : les sociétés restent non cotées plus longtemps et sont donc plus exposées au rachat » (seules 10 % des sorties se font par EPO).
 
Mais une fois passé le cap de la décision du rachat, l’horizon ne s’éclaircit pas d’un coup. Un chiffre en témoigne, cité par Julien Coulon, fondateur et ancien dirigeant de Cedexis : 85 %. C’est le nombre des intégrations se passent mal. L’important, souligne le fondateur de Cedexis pour dédramatiser le rachat, c’est de parler avec ses équipes des propositions de rachat (23 en tout pour Cedexis). Les équipes sont l’un des actifs essentiels de l’entreprise, et ne pas les associer peut les démotiver et mettre en échec le rachat et la croissance.


 

















Le rachat des entreprises, reflet d'une difficulté à dépasser le plateau de croissance

Le rachat, perte sèche pour l’économie française ? Cette approche comptable de l’utilisation des fonds publics mobilisés est encore très prégnante. Le rachat est « souvent vu comme une perte en raison du volume d’aides publiques engagées dans la création de l’entreprise », indique Olivier Passet. Une analyse à modérer pour Jean-Noël Barrot, « le rachat de start-up par des groupes étrangers n’est pas un mal en soi, même si ces start-up ont bénéficié d’aides publiques. S’ils permettent d’améliorer la productivité, l’innovation et stimulent la création d’emplois, ils sont positifs pour l’économie ».
 
En revanche, ce que souligne Bertin Nahum, c’est qu’ « En France, on est très bon pour financer les start-up et les aider à se développer jusqu’à un certain stade. C’est plus compliqué quand on veut lever sommes importantes. Les entrepreneurs se tournent alors vers acteurs étrangers »
 
Pour Jean-Noël Barrot, « la France a un peu en retard par rapport aux autres dans l’accompagnement des entreprises dans les phases critiques », comme en témoigne, notamment, le faible nombre de licornes françaises (seulement 3 en France).
               
Après une phase de lancement rapide et performante, les études révèlent en effet que les start-up françaises peinent à se développer au-delà d’un certain seuil, le fameux plateau de croissance. Ce qui les pousse à être candidates au rachat.
 
Olivier Passet, directeur des synthèses économiques chez Groupe Xerfi, identifie plusieurs facteurs qui expliquent les difficultés des start-up à se transformer en établissement de taille intermédiaire (ETI) :
- les problèmes de seuil et la progressivité de la fiscalité
- la difficulté d’attirer les compétences
- les problèmes de fléchage de l’épargne

Plus généralement, « le handicap au démarrage, c’est la taille du marché, la commande publique, la taille des tickets, le caractère plus ou moins attractif du rachat par des groupes hexagonaux. Ce qui fait que nos pépites ne deviennent pas ou en tout cas rarement, des groupes du CAC 40 », analyse Olivier Passet. Cela pousse certaines sociétés à attaquer d’emblée à l’international.
 
Fléchage des aides publiques et accès aux commandes publiques : deux axes de progression
Pour Didier Kling, président de la Chambre de commerce et d’industrie Paris Île-de-France, « La France et la place parisienne sont très bien pour la création d’entreprise mais moins pour le développement ». Si, en France, des études révèlent que les financements sont suffisants et accessibles. Pour Renaud Redien-Collot, analyste senior, Institut Friedland, auteur de l’étude l’Institut Friedland, « cette politique semble en revanche insuffisamment à l’écoute des motivations des entrepreneurs ».
 
Et s’il est maintenant facile pour un porteur de projet de lever des fonds, il y aurait en revanche, des progrès à faire dans la commande publique pour Bertin Nahum : « Il faudrait que ces fonds de l’État qui sont fléchés vers l’innovation soient là aussi pour aider une collectivité publique à choisir une start-up dans une commande publique ».
 
C’est l’une des différences importantes avec le marché américain. « En France, faute de trouver de la croissance dans notre pays, les start-up sont obligées d’aller à l’étranger beaucoup plus tôt, parfois trop tôt, alors que la société n’est pas encore suffisamment stable et solide », observe Bertin Nahum. Ce qui amène à des situations d’échec. « À l’inverse, aux États-Unis, le marché domestique est tellement captif et la commande publique accessible, que ces sociétés sont plus fortes pour aller ensuite à l’international ». Pour autant, « on est dans une situation qui s’améliore très fortement, avec une volonté de l’ensemble des acteurs de résoudre ces problèmes ».
 
Les pistes d’évolution, pour une plus grande efficacité de l’encouragement public à l’innovation
L’étude de l’institut Friedland met en exergue le fait que « les stratégies françaises de soutien à l’entrepreneuriat enferment les créateurs de start-up dans un scénario binaire du type : croître ou mourir. Le fait qu’un nombre croissant de fondateurs songent au rachat permet de dessiner une troisième voie et peut-être d’en accueillir d’autres ».
 
Se développer, sans passer par la case rachat. Pour Bertin Nahum, « la vraie question, c’est comment accompagner les start-up pour créer un leader mondial ».
 
Autre point de friction à travailler, la marque employeur. Pour Pierre Martini, « Aux États-Unis, les entreprises travaillent beaucoup sur la marque acquéreur pour être reconnus comme de bons investisseurs (culture d’entreprise, intégration, management package, earn-out, etc.) ». Les entreprises françaises peinent de leur côté à emprunter cette voie.
 
L’étude de l’institut Friedland rappelle en effet que « bien qu’absente des statistiques officielles, les start-up sont au cœur de toutes les attentions des pouvoirs publics qui y voient les agents prioritaires de la stratégie d’innovation nationale ». Et du côté du législateur, quelles sont les pistes pour aider le tissu entrepreneurial français ? Jean-Noël Barrot a précisé que dans le cadre de la loi PACTE, les seuils fiscaux et sociaux vont évoluer pour encourager la croissance organique des entreprises et les modalités du pacte Dutreil seront également révisées pour favoriser la transmission des entreprises familiales, plutôt que le rachat.
 
Source : Actualités du droit