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Vers une régulation européenne de certaines ICOs ?

Tech&droit - Blockchain
21/09/2018
Le Parlement européen vient de se saisir d’un véhicule législatif pour proposer un cadre de régulation pour certaines ICOs. En l’occurrence, le projet de règlement sur le crowdfunding. Explications.
Dans le cadre de son plan d’action pour les Fintechs, la Commission européenne avait proposé de réglementer les plateformes de crowdfunding (v. Fintech : le plan d’action de la Commission européenne dévoilé, Actualités du droit, 9 mars 2018), sans envisager, à cette époque, de réguler les initial coin offerings (ICOs), une méthode de levée de fonds en essor constant. Rappelons que « le montant total des levées de fonds par ICO dans le monde a représenté entre 4 et 6 milliards de dollars en 2017 » (Landau J.-P., Les cryptomonnaies, Rapport au ministre de l’Économie et des Finances, 4 juill. 2018, p. 31).
 
Dès 2017, l’Autorité européenne des marchés financiers s’inquiétait des risques soulevés par ces ICO, liés à la fois à leur forte volatilité et à l’absence de réglementation (v. notamment, AEMF, 13 nov. 2017, ICO risks for investors and firms). Elle s’était également dite préoccupée par les risques de blanchiment d’argent.
 
Sur ce dernier point, précisons que la 5directive européenne anti-blanchiment a étendu l’arsenal européen de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme aux monnaies virtuelles (Dir. n° 2018/843 UE, 30 mai 2018, JOUE , n° L 156/43, 19 juin 2018), texte en attente transposition en droit français (v. sur ce point ICO : les points qui pourraient évoluer en séance, Actualités du droit, 12 sept. 2018).

Cette directive définit ces actifs immatériels comme des « représentations numériques d’une valeur qui ne sont émises ou garanties ni par une banque centrale ni par une autorité publique, qui ne sont pas nécessairement liées non plus à une monnaie établie légalement et qui ne possèdent pas le statut juridique de monnaie ou d’argent, mais qui sont acceptées comme moyen d’échange par des personnes physiques ou morales et qui peuvent être transférées, stockées et échangées par voie électronique » (Dir. n° 2018/843 UE, 30 mai 2018, art. 1). Un texte qui avait marqué une première étape dans le projet de la Commission européenne de poser un cadre de régulation pour les cryptoactifs.
 
Vers une régulation européenne des ICOs ?
Une deuxième étape sera-t-elle bientôt franchie ? C’est en tout cas le souhait de la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen (ECON), qui a proposé, dans le cadre de la proposition de règlement sur le crowdfunding (Commission européenne, proposition de règlement, 8 mars 2018), de réguler certaines ICOs. Concrètement, les prestataires de services de crowdfunding devraient être autorisés à lever des fonds par l'intermédiaire de leurs plateformes en utilisant des cryptoactifs.
 
Par quatre amendements rendus publics le 10 août dernier (Parlement européen, commission des affaires économiques et monétaires, 10 août 2018), les députés de cette commission ont ainsi proposé de poser d’autres briques d’une régulation des ICOs.
 
Voici les quatre amendements :
  • Amendement n° 6 : « (15a) In order to allow for a competitive Union framework, crowdfunding service providers should be permitted to raise capital through their platforms using certain cryptocurrencies. Initial Coin Offerings (ICOs) offer new and innovative ways of funding but can also generate substantial market, fraud and cyber security risks to investors.
Therefore, crowdfunding service providers that wish to offer an ICO through their platform, should comply with specific additional requirements under this Regulation. However, private placements, ICOs raising in excess of EUR 8 000 000 or ICOs that do not use a counterparty do not fall within the scope of those requirements »
  • Amendement n° 31 : « (da) crowdfunding service providers that facilitate the raising of capital through their platforms via Initial Coin Offerings (ICO) that issue tokens that do not use a counterparty »
 
  • Amendement n° 36 : « (iib) the facilitation of offerings where the service provider acts as an intermediary between an entity issuing tokens via an ICO using a counterparty and investors »
 
  • Amendement n° 43 : « (lb) Initial Coin Offering or ICO’ means raising funds from the public in a dematerialised way using coins or tokens that are put for sale for a limited time by a business or an individual in exchange for fiat or virtual currencies »
Une définition des ICOs est ainsi esquissée à l’amendement 43 : il s’agit d’une « levée de fonds auprès du public de manière dématérialisée à l'aide de monnaie ou de jetons mis en vente pour une durée limitée par une entreprise ou un particulier en échange de monnaie fiduciaire ou virtuelle ».
 
Un premier pas qui n’ambitionne cependant pas de réguler l’ensemble du secteur : « Whilst this regulation may not provide the solution for regulating the ICO market, it takes a much-needed step towards imposing standards and protections in place for what is an excellent funding stream for tech start-ups » (Parlement européen, commission des affaires économiques et monétaires, 10 août 2018, p. 80).  

Pour Rémy Ozcan, cofondateur de Crypto4all, "Il s’agit là de la première reconnaissance officielle des institutions européennes que les ICOs constituent un puissant moyen de financement des PME. C’est un bon signal. Également révélatrice de la nécessité d’avoir une réglementation harmonisée au sein de l’UE pour éviter tout dumping et assurer une protection optimale des investisseurs et entrepreneurs".

Un régulation opportune ?
"L’ajout d’un amendement sur les ICOs à la réglementation européenne sur le crowdfunding est inapproprié à plusieurs titres", pour cet entrepreneur, notamment parce qu' "à l’image de la réglementation AIFM, Il s’agit d’une réglementation de type « acteurs » qui a vocation à réguler un secteur via ses acteurs. Cela fait sens pour le crowdfunding qui est un moyen de financement intermédié mais ce n’est pas le cas des ICOs qui sont par nature désintermédiées. L’utilisation d’un smart contract permettant d’automatiser la collecte des fonds et la redistribution des tokens".

Ce cadre de régulation proposé est, qui plus, est assez restrictif, puisqu'il ne concerne ni les ICOs de plus de 8 millions d’euros ni celles n'offrant pas de contrepartie (amendement n° 6). Or, selon le rapport Landau "Le montant moyen d’une ICO française s’établit (...) à 8,1 millions de dollars à l’émission et à 21,4 millions de dollars une fois prise en compte la valorisation de marché" (Landau J.-P., Les cryptomonnaies, Rapport au ministre de l’Économie et des Finances, 4 juill. 2018, p. 31).

Que comprendre, enfin, derrière l'expression "using certain cryptocurrencies".  "Quels seront les critères qui permettrait au législateur de déterminer quelles seraient les bonnes ou mauvaises cryptodevises légitimes ? Le bitcoin est-il légitime ? Crypto devises centralisées ? Non volatiles (stablecoin) ?, s'interroge Rémy Ozcan.

Reste également à savoir quel sera le sort de ces amendements en séance, séance dont la date n’est pas encore connue…

Article écrit en collaboration avec Mahfoud Daoua
Source : Actualités du droit