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Réflexions autour de la reconnaissance juridique de l’horodatage blockchain par le législateur italien

Tech&droit - Blockchain
22/02/2019
C'est officiel : le droit positif italien comprend désormais une mesure consacrant l’horodatage blockchain. Mais la rédaction de ce texte ne règle pas toutes les questions qui se posent autour de la preuve blockchain. Loin s'en faut. Les explications d’Alice Barbet-Massin, doctorante, Université de Lille, CNRS, UMR 8026-CERAPS, juriste chez August Debouzy. 
La combinaison des procédés cryptographiques et du réseau pair-à-pair, composants des protocoles blockchains, assurent une certaine fiabilité aux données qui y sont enregistrées. Coût, rapidité, durée illimitée de conservation, « preuve universelle » qui pourrait être admise par l’ensemble des tribunaux, immuabilité des registres, sont autant d’avantages attribués à cette preuve conservée dans la blockchain.
 
Les protocoles blockchains comprennent en leur sein des fonctions d’horodatage qui permettent de fixer la date et l’heure de données qui sont enregistrées. À cet égard, lhorodatage blockchain introduit des éléments de temporalité à deux niveaux :
  • au niveau de l’heure et de la date d’entrée de la transaction dans la blockchain ; et
  • au niveau de l’heure et de la date de validation du bloc de transactions.
Une reconnaissance juridique de cet horodatage blockchain est amorcée par la loi n° 12/19 du 11 janvier 2019 relative au soutien et à la simplification des entreprises et de l'administration publique, entrée en vigueur en Italie le 13 février 2019. Elle tend à consacrer les effets juridiques de l'« horodatage électronique blockchain » comme preuve, mais elle reste taisante, toutefois, sur un certain nombre de points techniques et juridiques.
 
La prudence de cette loi montre la difficile imbrication du régime de l’horodatage blockchain avec celui de l’horodatage électronique visé par le règlement européen n° 910/2014 du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014 sur l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur (dit « règlement eIDAS »), et le tournant attendu de ses prochaines révisions telles qu’annoncées par la doctrine et le législateur.
 
Enfin, l’étude de cette loi sera l’occasion d’établir l’état de l’art des droits étrangers au sujet de la preuve blockchain, comparé au droit français.
 
Une consécration des effets juridiques de l’« horodatage électronique blockchain » en droit italien
L’article 8 ter, 3° de la loi italienne relative au soutien et à la simplification des entreprises et de l'administration publique introduit l’« horodatage électronique blockchain ». Il prévoit ainsi que « le stockage d'un document informatique par l'utilisation de technologies basées sur des registres distribués produit les effets juridiques de l'horodatage électronique (visé par l'article 41 du règlement eIDAS) » (l’article 41 du règlement eIDAS vise trois effets produits par les horodatages électroniques : « 1. L’effet juridique et la recevabilité d’un horodatage électronique comme preuve en justice ne peuvent être refusés au seul motif que cet horodatage se présente sous une forme électronique ou qu’il ne satisfait pas aux exigences de l’horodatage électronique qualifié. 2. Un horodatage électronique qualifié bénéficie d’une présomption d’exactitude de la date et de l’heure qu’il indique et d’intégrité des données auxquelles se rapportent cette date et cette heure. 3.Un horodatage électronique qualifié délivré dans un État membre est reconnu en tant qu’horodatage électronique qualifié dans tous les États membres »).
 
Cet article confirme, d’une part, les effets juridiques de l’« horodatage électronique blockchain » des données. Sans passer par le raisonnement d’une préalable qualification juridique, le législateur italien accorde à l’« horodatage électronique blockchain » les effets de l’horodatage visés par le règlement eIDAS par le renvoi à l’article 41 qui traite desdits effets.
 
D’autre part, toujours par référence à l’article 41, c’est la recevabilité de cette preuve en justice qui est indirectement admise. L’horodatage ne pourrait être refusé s’il ne satisfait pas aux exigences de l’horodatage électronique qualifié. Le principe de non-discrimination, sous-tendu par le règlement eIDAS, trouve ici à s’appliquer à l’horodatage électronique blockchain. Il consiste à accepter, d’un côté, que l’horodatage électronique est admis en justice au même titre que l’horodatage classique et, de l’autre, qu’il sera aussi recevable s’il présente le caractère de l’horodatage électronique simple (et non qualifié). C’est sur ce dernier point que le principe de non-discrimination s’applique concrètement à « l’horodatage électronique blockchain » qui est, par essence électronique, mais ne sera pas nécessairement un horodatage électronique qualifié.
 
Pour rappel, il existe deux types d’horodatage électronique prévus par le règlement eIDAS :
  • l'horodatage électronique simple : un procédé qui permet de certifier qu’une donnée existait bien à un instant donné (Règl. n° 910/2014, 23 juill. 2014, dit eIDAS, point 33 : « des données sous forme électronique qui associent d’autres données sous forme électronique à un instant particulier et établissent la preuve que ces dernières données existaient à cet instant ») ;
  • l'horodatage électronique qualifié : un procédé similaire mais qui doit satisfaire aux conditions imposées par l’article 42 du règlement eIDAS, autrement dit de :
    • lier la date et l’heure aux données de manière à raisonnablement exclure la possibilité de modification indétectable des données ;
    • être fondé sur une horloge exacte liée au temps universel coordonné ; et
    • être signé au moyen d’une signature électronique avancée ou cacheté au moyen d’un cachet électronique avancé du prestataire de services de confiance qualifié, ou par une méthode équivalente.
L’horodatage électronique qualifié bénéficie d’une présomption d’exactitude de la date et de l’heure qu’il indique et d’intégrité des données (Règl. n° 910/2014, 23 juill. 2014, art. 41.2). 

Ainsi, la différence entre ces deux horodatages se situe essentiellement :

  • quant à l’intervention d’un tiers certificateur agréé dans le procédé d’horodatage qualifié ; et
  • quant à l’effet de l’horodatage qualifié qui, au niveau de la charge de la preuve, établit une présomption simple d’exactitude de la date et de l’heure et d’intégrité des données ; cette présomption pourra être renversée. 
Pour l’heure et en l’absence d’intervention de prestataire de services de confiance qualifié dans les blockchains publiques, l’horodatage blockchain reconnu comme preuve en droit positif italien semble ne pouvoir revêtir que le caractère de l’horodatage électronique simple. Cette preuve produira des effets simples et devra être admise par le juge en vertu du principe de non-discrimination susmentionné.
 
Pour ce qui est des blockchains privées, le gérant pourra prévoir contractuellement l’obligation de faire intervenir un tiers de confiance pour bénéficier de la force probante supérieure de « l’horodatage électronique blockchain qualifié » en vertu de la présomption d’exactitude de date et heure, et d’intégrité des données (v. la possibilité en droit français d’établir une convention de preuve : C. civ., art. 1368).
 
Précisons enfin que cette disposition ne fait pas de mention expresse à la « signature blockchain », procédé central permettant à un utilisateur de réaliser une transaction par l’intermédiaire de la blockchain. Indirectement, elle exclut ainsi l’analogie possible à la signature électronique visée par le règlement eIDAS.
 
Un texte lacunaire à préciser
Par la voie des décrets d’application ou par celle juridictionnelle un certain nombre d’éléments techniques et juridiques devront être clarifiés (la pratique judiciaire pourra révéler le champ des possibles en matière de preuve blockchain : Canas S., Blockchain et preuve : le point de vue du magistrat, Dalloz IP/IT, févr. 2019, p. 82).
 
Les précisions techniques à apporter.- La loi italienne fait référence au « stockage du document » par l’intermédiaire de la technologie blockchain. Techniquement, sur une blockchain publique, la place dans une transaction pour ancrer des données est limitée (80 bytes). En effet, cette dernière n’a pas pour objectif initial de servir de base pour stocker des données. C’est l’empreinte (ou « hasch ») d’une donnée qui est stockée. En pratique, il arrive que l’empreinte de l’empreinte (ou « hasch de hasch ») soit ancrée dans une transaction pour permettre de regrouper tous les documents et réduire le coût de l’ancrage à une seule transaction. Il sera ainsi question d’éclaircir le sens que les législateurs ont souhaité donner au terme de « stockage » du document.
 
Par ailleurs, en visant le stockage d’un « document », elle exclut la reconnaissance d’autres données enregistrées dans la blockchain. En effet, l’ensemble des données transactionnelles, incluant l’identifiant de transaction, les clés publiques, le nombre de crypto-actifs échangés et certaines données en clair ajoutées à une transaction (bien que limitées) ou appelées « données complémentaires » par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) peuvent constituer des éléments de preuve (CNIL, Blockchain, Premiers éléments d’analyse, 24 sept. 2018) d’une certaine utilité pour le juge en matière pénale (Matzutt R., Hiller J., Henze M., Henrik Ziegeldorf J., Mullmann D., Hohlfeld O., Wehrle K., A Quantitative Analysis of the Impact of Arbitrary Blockchain Content on Bitcoin, March 19, 2018).
 
Enfin, cette loi n’indique pas le niveau de sécurité attendu des « technologies basées sur des registres distribués », notamment quant aux algorithmes employés et la nature des blockchains visées. L’algorithme de haschage SHA 256 actuellement utilisé dans la majeure partie des protocoles pourrait être cassé et devenir moins fiable (risques de collision). En outre, vulnérables aux cyberattaques, les nombreuses plateformes interfaces qui proposent des solutions pour ancrer des documents peuvent aussi poser questions.
 
Les nécessaires précisions juridiques.- L’empreinte du document, qui n’est pas mentionnée mais dont il est fait référence par le « stockage de document », doit trouver une qualification juridique (écrit parfait ou imparfait). Ceci impliquera, notamment, la nécessité ou non de conserver le document original.
 
En France, le régime de la copie prévu à l’article 1379 du Code civil permet aux parties de faire le choix de ne pas conserver l’original mais uniquement la copie. Avec l’empreinte blockchain, la problématique réside dans le fait qu’il conviendra de fournir l’original pour vérifier l’empreinte lors d’un litige. Ceci suppose donc de conserver le document original en dehors de la blockchain.
 
Cet article n’explique pas les cas dans lesquels l’horodatage blockchain ne ferait pas intervenir un tiers certificateur. Ces cas précisément sont poursuivis par les usagers des protocoles publics qui ancrent des données, ne souhaitant pas l’intermédiation d’un tiers de confiance.
 
À l’origine de la blockchain, les concepteurs cypherpunks du protocole bitcoin souhaitaient développer une monnaie sans institutions bancaires et étatiques (Nakamoto S., « Bitcoin: A Peer-to-Peer Electronic Cash System », 2008). La blockchain endosserait par elle-même, grâce à ses procédés techniques, le rôle de tiers de confiance. En pratique, l’intervention d’experts et autres tiers en matière probatoire constitue, qui plus est, une contrainte de nature à compliquer et surenchérir le coût de l’investissement dans cette technologie (G’Sell F., France stratégie, Les enjeux des blockchains, 21 juin 2018, p. 105 ; v. Blockchain, cryptomonnaie, ICO : les derniers rapports à lire sur la plage, Actualités du droit, 19 juill. 2018).
 
De surcroît, il n’est pas indiqué quelle valeur sera donnée à la date de l’horodatage blockchain. Par exemple, en droit français, dans certains cas visés par l’article 1377 du Code civil, une « date certaine » est accordée à des situations ou actes (jour où il a été enregistré, jour de la mort du signataire, jour où sa substance est constatée dans un acte authentique). Cette date pour l’horodatage blockchain pourrait être la date de l’existence du document à un instant donné (v. ce qui a été proposé par l’amendement n° 1317 au projet de loi PACTE relatif à la croissance et la transformation des entreprises, v. TA AN n° 1088, 2018-2019, amendement n° 1317 et Loi PACTE et preuve blockchain : premier petit pas vers une reconnaissance par le Parlement ?, Actualités du droit, 13 sept. 2018 ; v. également un autre amendement déposé par Jean-Michel Mis, cette fois dans le cadre du projet de loi de programmation pour la justice : TA AN n° 1349, 2018-2019, amendement n° CL380 ; cet amendement proposait de modifier l'article 1358 du Code civil en ce sens : « À cet effet, tout fichier numérique enregistré dans un dispositif électronique d’enregistrement partagé de nature publique ou privée vaut preuve de son existence et de sa date, jusqu’à preuve contraire, dès lors qu’il répond à des conditions définies par décret »). Il serait question de reconnaître l’existence du contenu à un instant donné et non la preuve du contenu lui-même, qui ne peut être vérifié. Plusieurs dates pourront cependant être retenues : celle de l’heure et la date de l’ancrage du document de la transaction (avec un temps de décalage pour sa validation dans la blockchain bitcoin) ou celle de l’horodatage du bloc. Celle de l’horodatage du bloc et ainsi de la validation de la transaction aurait de toute évidence plus d’intérêt.
 
Les révisions attendues du règlement eIDAS…
Conformément à l’interprétation téléologique du règlement eIDAS, ce dernier a été rédigé selon une philosophie de neutralité technologique, garante du pluralisme des solutions et de l’évolutivité des techniques (« Il est à prévoir que l’innovation pourrait déboucher sur de nouvelles technologies susceptibles d’assurer un niveau de sécurité équivalent pour les horodatage » ; v. à ce titre : le point 62 du règlement eIDAS : « Afin d’assurer la sécurité des horodatages électroniques qualifiés, le présent règlement devrait imposer l’utilisation d’un cachet électronique avancé, d’une signature électronique avancée ou d’autres méthodes équivalentes. Il est à prévoir que l’innovation pourrait déboucher sur de nouvelles technologies susceptibles d’assurer un niveau de sécurité équivalent pour les horodatages. En cas de recours à une méthode autre que le cachet électronique avancé ou la signature électronique avancée, il devrait revenir au prestataire de services de confiance qualifié de démontrer, dans le rapport d’évaluation de la conformité, que ladite méthode assure un niveau de sécurité équivalent et satisfait aux obligations énoncées dans le présent règlement »).  
 
C’est dans ce contexte qu’il convient d’adapter le règlement eIDAS à l’horodatage blockchain pour tenir compte pleinement de sa fiabilité, éviter l’intervention d’un tiers certificateur ou encore d’experts nécessitant d’allonger la procédure et impliquant des coûts importants (G’Sell F., France stratégie, Les enjeux des blockchains, 21 juin 2018, p. 108). Un délai d’un an et demi approximatif pourrait être envisagé pour réfléchir à ces révisions et les adopter (se référer à l’article 294 du TFUE relatif à la procédure législative ordinaire du Parlement et du Conseil européen qui prévoit, de bout en bout, un délai théorique maximal de 14 mois).
 
Pour tenir compte des spécificités de l’horodatage ainsi que de la signature blockchain, il conviendrait probablement à terme de préciser - tout en conservant à minima une certaine neutralité - les conditions techniques selon lesquelles ces procédés sont reconnus, en considérant un standard de normes techniques de type AFNOR (TC 307 ; https://normalisation.afnor.org/actualites/bientot-normes-iso-blockchain/, consulté le 18 févr. 2019).
 
Par ailleurs, il serait opportun d’intégrer les cas qui accorderaient une force probante significative supérieure au premier degré de signature et d’horodatage électronique simple. Par exemple, l’usage des protocoles publics bitcoin et ethereum qui, en l’absence de modifications possibles, garantissent l’intégrité de la date et de l’heure des données inscrites dans la blockchain.
 
L’Assemblée nationale française, dans sa proposition n° 14 issue du rapport d’information sur les blockchains du 14 décembre 2018 (Assemblée nationale, Mission d'information sur les chaînes de blocs (blockchain), rapp., 14 déc. 2018, sur ce rapport, v. La blockchain, une technologie stratégique pour la France, Actualités du droit, 14 déc. 2018) envisage d’ailleurs une « adaptation du régime applicable en matière de preuve électronique et de signature numérique par une révision du règlement européen n° 910/2014 du 23 juillet 2014 (…) » (Assemblée nationale, Mission d'information sur les chaînes de blocs (blockchain), rapp., 14 déc. 2018, p. 92).
 
Un droit étranger à l’avant-garde au regard du droit français
Parallèlement à l’Italie, certains États fédérés aux États-Unis ont avancé sur ces questions légistiques relatives à la preuve blockchain. Dans le Tennessee, les documents protégés par la blockchain sont considérés comme des documents électroniques et la signature cryptographique produite et stockée par la blockchain sous forme électronique comme une signature électronique (Tennessee, projet de loi n° 1662, 22 mars 2018, qui modifie le « Tennessee Uniform Electronic Transactions Act »). Dans le Nevada, le « Nevada Uniform Electronic Transactions Act » a été modifié par les « Nevada Blockchain Statutes » promulgués le 5 juin qui considèrent les enregistrements dans la blockchain comme des documents électroniques. L’État du Vermont indique que les documents de la blockchain sont auto-authentifiables en vertu de la loi 902 du Vermont sur la preuve (L. 12 V.S.A. §, article 1913 promulguée le 2 juin 2016).
 
La proposition de loi n° 237 relative à la blockchain adoptée le 21 décembre 2017 à Monaco qualifie juridiquement les inscriptions d’acte juridique dans la blockchain comme étant présumées constituer « une copie fidèle, opposable et durable de l’original, portant une date certaine » (sur ce sujet, v. Thierry Poyet, ancien Conseiller national à Monaco et président de l’association World of Blockchains Monaco : « Monaco dispose aujourd’hui de la proposition de loi la plus favorable au monde aux blockchains », Actualités du droit, 11 juill. 2018).
 
Par ailleurs, la problématique du décryptage de l’empreinte par le juge, soit la manière dont ce dernier sera amené à traduire la preuve blockchain d’un langage crypté à un langage intelligible pourrait se poser (v. Clément Bergé-Lefranc, co-fondateur de Ledgys Solutions : « La blockchain est une technologie très efficace pour se préconstituer une preuve », Actualités du droit, 20 juill. 2017).

Cependant, un juge chinois n’a pas montré de difficultés particulières pour apprécier ce type de preuve dans une décision du Tribunal de Hangzhou du 28 juin 2018 (Hangzhou Internet Court, Province of Zhejiang People’s Republic of China, Case n° 055078 (2018) Zhe 0192 No. 81 Huatai Yimei/Daotong, June 27, 2018 ; v. Deroulez J., Blockchain et preuve : la Chine en pointe ?, Actualités du droit,  7 sept. 2018). Cette décision est la première à avoir reconnu des éléments inscrits sur la blockchain (concernant le protocole bitcoin) comme des preuves authentifiantes valables lors d'un litige. Celle-ci semble toutefois difficilement transposable au sein de nos juridictions (le Tribunal de Hangzhou nommé « tribunal de l’Internet » qui a rendu cette décision étant une juridiction technique spéciale).
 
La France a choisi d’adopter, pour sa part, une attitude vigilante au sujet de la preuve blockchain. Elle ne consacre pas de cadre général (v. cependant au sujet d’une proposition d’amendement, non adopté, Loi PACTE et preuve blockchain : premier petit pas vers une reconnaissance par le Parlement ?, Actualités du droit, 13 sept. 2018) aux grandes notions de preuve contenues dans la blockchain (signature, horodatage, empreinte blockchain). Elle reconnaît cette preuve, au cas par cas, en fonction des usages (minibons et titres financiers ; v. les cas des minibons et titres financiers non côtés : Ord. n° 2016-520, 28 avr. 2016 relative aux bons de caisse et Ord. n° 2017-1674 du 8 décembre 2017 relative à l'utilisation d'un dispositif d'enregistrement électronique partagé pour la représentation et la transmission de titres financiers). Saluons tout de même l’assimilation par le législateur de l’inscription de la cession de minibons dans la blockchain à un écrit sous seing privé. L’article L. 223-12 du Code monétaire et financier indique ainsi que le transfert de propriété de minibons résulte de l'inscription de la cession dans la blockchain qui « tient lieu de contrat écrit ».
 
Le rapport La Raudière/Mis relève, d’ailleurs, les intérêts de l’horodatage blockchain, en raison de « la traçabilité garantie par la fonction d’horodatage et l’immuabilité des transactions », et indique qu’il pourrait répondre, en partie, aux spécifications du règlement eIDAS. La doctrine française ainsi que les praticiens reconnaissent également les atouts de l’horodatage blockchain, notamment dans le domaine des droits de propriété intellectuelle non enregistrés (v. Binctin N., Quelle place pour la blockchain en droit français de la propriété intellectuelle, Propr. Intell. n° 65, oct. 2017, p. 18 ; Favreau A., L’avenir de la propriété intellectuelle sur la blockchain, Propr. Intell. n° 67, avr. 2018, p. 16 ; v. Vincent Fauchoux, co-fondateur de BlockchainyourIp : « En matière de propriété intellectuelle, la blockchain présente l’avantage de couvrir toute la zone de l’avant-brevet », Actualités du droit, 18 oct. 2017).
 
En tout état de cause, le droit commun, en France, suffit à exercer des analogies avec les catégories juridiques existantes et il n’y aurait pas de réelles difficultés à ce que le juge soit enclin à accepter cette preuve blockchain lorsque la preuve demandée est libre (v. les cas où la preuve est apportée par tous moyens (preuve d’un fait, actes portant sur une somme inférieure ou égale à 1500 euros, preuve en matière pénale, preuve en matière commerciale). Mais en dehors de ces cas, des incertitudes – comprises par le législateur – subsistent. Le rapport La Raudière/Mis soulève, en effet, qu’ « en l’état du droit, aucun texte ne détermine la portée juridique des éléments inscrits sur un protocole technique. Dès lors qu’il ne fait pas partie des moyens de preuve actuellement reconnus au plan juridique, il appartient au juge de déterminer leur valeur probatoire, au vu des circonstances de l’espèce » (Assemblée nationale, Mission d'information sur les chaînes de blocs (blockchain), rapp., 14 déc. 2018, p. 91). Le législateur travaille donc à une reconnaissance générale des données inscrites dans la blockchain (v., notamment, l’amendement n° 1317 au projet de loi dit « PACTE » qui prévoyait d’ajouter un 2e alinéa à l’article 1358 du Code civil sur la liberté de la preuve en matière de fait juridique : TA AN n° 1088, 2017-2018, amendement n° 1317 ; il était avancé l’idée que toutes données enregistrées dans la blockchain publique ou privée devait valoir preuve de son existence et de sa date jusqu’à preuve du contraire) et appelle à des éclaircissements pour conforter la valeur probatoire des blockchains (Assemblée nationale, Mission d'information sur les chaînes de blocs (blockchain), rapp., 14 déc. 2018, p. 90).
 
Pour le ministère de la justice, il conviendrait de sécuriser la preuve blockchain en établissant une forme de « certification » des protocoles (Assemblée nationale, Mission d'information sur les chaînes de blocs (blockchain), rapp., 14 déc. 2018, p. 92). Celle-ci permettrait de garantir l’intangibilité des données inscrites dans la blockchain. De même, il pourrait être envisagé de mettre en place un système de labellisation optionnel des blockchains par l’ANSSI, au même titre que celui de la CNIL, en ce qui concerne la conformité des produits et procédures quant au traitement de données à caractère personnel.
 
La possible convergence de la pensée libertarienne et du droit doit donc être mûrement réfléchie par les législateurs français et étrangers. Dans le domaine de la preuve blockchain « Code with law is security », à l’image de ces premiers textes garantissant, avec sécurité, les effets des procédés issus de la blockchain en tant que preuve. 
Source : Actualités du droit