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Notaires et legaltechs : pour une interopérabilité entre les acteurs

Tech&droit - Start-up
03/12/2018
Lors du Village de la LegalTech édition 2018 s’est tenue une conférence portant sur « Les notaires et la legaltech ». Deux types d’acteurs qui, après une longue phase d’observation, commencent à travailler de concert. Avec un maître mot : l’interopérabilité de ces services.
L’objectif de cette conférence : dresser un état des lieux de l’écosystème legaltech dans le notariat et étudier les perspectives pour la profession. Le point de départ selon Mathieu Fontaine, président de la Commission numérique du 113e Congrès des notaires de France : le développement de l’économie du numérique. Pour lui, la finalité des legaltechs pourrait être « de venir dans cette « nouvelle économie » pour réaliser des tâches qui aujourd’hui n’apportent pas forcément de valeur ajoutée sur le conseil du cœur de métier ».

Comme l’affirme Cyril Ihssan El Younani, directeur de l’école de code « Le 101 », « il faut créer des solutions informatiques qui correspondent aux nouveaux usages et répondent à la demande ». « La société évolue et il faut s’adapter aux modes de consommation des clients », confirme Vincent Clocher, responsable R&D pour Fiducial informatique.

L’expansion de ces start-ups a toutefois fait naître chez les notaires des craintes. Deux types de risques ont été abordés lors de cette conférence : l’un touchant les notaires eux-mêmes, et l’autre affectant leurs clients. Tout l’enjeu est alors de trouver des solutions qui offrent des avantages aux notaires comme à leurs clients, en trouvant un juste équilibre.

Des incertitudes pour les notaires

Premier point évoqué : la menace pour la profession. Les legaltechs se sont adaptées aux évolutions sociétales et ont révolutionné les modes d’exercice de la profession notariale. Mais les intervenants soulèvent des risques pouvant découler de ces nouveautés.

Disparition du notaire…– Pour Nicolas Tissot, directeur du numérique et des systèmes d’information au Conseil supérieur du notariat (CSN), si le CSN perçoit « positivement » cette arrivée des legaltechs dans le métier, le notaire craint tout de même une « ubérisation » de la profession. En effet, les notaires étant officiers publics, « ils sont dépendants de l’État, qui fixe les tarifs ». Ainsi, si l’État décide de diminuer les tarifs ou de supprimer le monopole des notaires en considérant que « la technologie devrait permettre d’être beaucoup plus efficace », cela crée un danger pour eux d’un point de vue concurrentiel.

Cette inquiétude provient également du fait que « de nouveaux acteurs arrivent sur le marché et prennent la place des notaires, d’autant plus qu’il y a des notaires derrière certaines legaltechs ». Selon lui, « il n’est pas dans l’intérêt du notariat de voir émerger des legaltechs qui vont remplacer le notaire ». Il nuance néanmoins : « ces changements dans la profession peuvent être positifs », mais seulement si l’on utilise ces technologies à bon escient, insiste-t-il.

Cyril Ihssan El Younani complète : « on doit remettre l’humain au centre de nos échanges quand on parle de technologie ». Pour lui, le risque est de n’avoir « qu’un acte technique », qui pourrait remplacer le notaire. Mais il soutient qu’un tel risque crée aussi « une opportunité » pour la profession, « même si des incertitudes persistent aujourd’hui car on ne sait pas exactement où tout cela va mener ». Une chose est sûre, poursuit-il, c’est qu’il faut « suivre le mouvement » et « ne surtout pas rester dans l’inertie ni dans la peur : on est aujourd’hui à un carrefour, il faut une logique informatique ».

… ou partenariat ?– Les intervenants soulignent, toutefois, les effets positifs des legaltechs sur la profession. Pour Vincent Clocher, celles-ci doivent être vues comme « des partenaires » : « le notaire s’inscrit dans un écosystème qui crée un ensemble avec plusieurs briques dont les legaltechs font désormais partie », et « cet écosystème du notaire n’est aujourd’hui plus suffisant ». Il faut y apporter des changements, d’où un partenariat nécessaire avec ces start-ups. Propos confirmés par Mathieu Fontaine, pour qui il faut s’inscrire dans une « philosophie d’ouverture ».

Dans la pratique, Damien Gréau, responsable du département R&D du groupe ADSN (Association pour le développement du service notarial, qui conçoit et développe des produits et services destinés à la profession notariale), affirme que « les notaires sont de plus en plus friands et créent eux-mêmes de plus en plus ces nouveaux services numériques », notamment autour de la rédaction d’actes. ADSN souhaite, selon lui, « permettre à tous ces nouveaux services de s’interconnecter et de permettre un enchainement complet dans le cadre de la production des actes », créant des services non pas dangereux pour les notaires, mais au contraire leur facilitant le travail.

Un risque pour les clients ?

Deuxième point abordé : la nécessité d’offrir un service sécurisé au client. D’une part, il est primordial pour le notaire, qui a accès à de très nombreuses données personnelles sur son client, de garantir leur sécurité. Selon Nicolas Tissot, avec l’appropriation de ces données par les legaltechs, le notaire perd la main dessus, au moins en partie ; il doit ainsi s’assurer du respect des règles éthiques lorsque les services proposés par des start-ups sont utilisés.

D’autre part, se pose également la question de la liberté pour le client de choisir son notaire : Nicolas Tissot se demande « si ces legaltechs ne vont pas choisir de travailler en priorité avec certains notaires et donc si c’est bien le client qui va pouvoir choisir son notaire, ou si ce sont les legaltechs qui vont décider vers quel notaire ils enverront le client ».

Confronté à ces incertitudes, le Conseil supérieur du notariat a décidé de « reconnaître les situations présentant des besoins nouveaux qu’il ne peut pas couvrir et pour lesquels il faut laisser les legaltechs accomplir une part du travail ». Dans cette optique, il a rédigé une « Charte pour un développement éthique du numérique notarial » (voir Actualités du droit, 22 nov. 2018, « Label contre API : le CSN pose le cadre de sa collaboration avec les start-up »), qui vise à apporter rendre l’usage de ces nouveaux services numériques sécurisé et transparent. Nicolas Tissot indique que cette charte éthique fonctionne lorsque les différents acteurs travaillent de concert, étant précisé que l’adhésion à ses principes se fait sur la base du volontariat. Cette « interopérabilité » est la condition indispensable pour que les legaltechs offrent de réels avantages à leurs utilisateurs.

Ce qui est important, pour le client, en effet, c’est que les legaltechs lui permettent de « fluidifier son parcours numérique », par exemple avec la possibilité de prendre rendez-vous avec un notaire en ligne. Et dans cette nouvelle dynamique, le notaire est également préservé, car il a la possibilité de proposer les plages horaires qui lui conviennent ou de refuser un rendez-vous. Aussi, sur la question de la protection des données des clients, la charte interdit tout vente de données personnelles, mais laisse la possibilité aux start-ups de proposer des services supplémentaires aux clients, toujours en leur laissant le choix et avec l’obligation d’obtenir leur accord préalable. « C’est un écosystème vertueux pour toutes les parties », termine-t-il. Pour Vincent Clocher également, « l’interopérabilité devient une nécessité de toutes les applications que l’on développe, car on capte des données, qui vont être déversées dans le dossier automatiquement ». Le fait d’avoir accès aux données du client doit permettre de lui faciliter la tâche, ainsi qu’au notaire.

Pour les intervenants, il faut donc encadrer et savoir utiliser à bon escient les legaltechs, afin qu’elles deviennent un service servant les intérêts de chacun.

Vers une évolution de la profession

Toutes ces réflexions s’inscrivent dans un futur proche. S’agissant d’une approche à long-terme, pour Vincent Clocher, « il faut être agile, savoir se remettre en question, accepter l’interopérabilité et les échanges ». Mais pour lui, il est clair que « les legaltechs ne feront jamais le métier du notaire ». Un avis partagé par Damien Gréau, qui affirme qu’ADSN s’inscrit dans cette même démarche « d’accompagnement » des notaires, et que la charte éthique du CSN apporte en ce sens de la confiance dans ces services numériques.

Pour Cyril Ihssan El Younani, « les métiers du droit vont accepter que les tâches les plus simples soient effectuées par la technologie et qu’eux vont s’occuper des aspects qui comportent une plus-value humaine ». Un avis partagé par Nicolas Tissot pour qui « le notaire doit se recentrer sur le client et le conseil et laisser les machines effectuer les tâches plus simples ». Il aura ainsi une nouvelle mission : celle de « vérifier que la machine a bien fait le travail », ce qui suppose que « le notaire devienne expert dans l’utilisation de ces nouveaux outils ».

Partenaires, donc, plus que concurrents, les legaltechs devraient permettre aux notaires de se recentrer sur leur office et ce, dans l’intérêt de leurs clients.
Source : Actualités du droit