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Brexit sans accord : conséquences juridiques sur les activités bancaires et financières vues par le HCJP

Affaires - Banque et finance
12/11/2018
Le Haut comité juridique de la place financière de Paris (HCJP) a publié le 6 novembre 2018 un rapport intitulé « Brexit, activités bancaires et de services d’investissement », dans lequel il examine deux grands problèmes juridiques qui découleraient d’un éventuel Brexit sans accord et formule des recommandations favorisant la continuité des services.
Alors que le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne sera effectif au 29 mars 2019, les États, entreprises et particuliers se préparent déjà à faire face aux difficultés liées à une sortie sans accord, scénario « plus probable que jamais » selon le président du Conseil européen, Donald Tusk. En France, le Sénat a lui-même adopté en première lecture, le 6 novembre 2018, un projet de loi habilitant le gouvernement à prendre par ordonnances les mesures nécessaires en cas de « Brexit dur ».

Dans le contexte des négociations sur ce retrait du Royaume-Uni, le Haut comité juridique de la place financière de Paris (HCJP) s‘est penché sur les conséquences juridiques qui impacteront les relations d’affaires entre Européens et Britanniques nouées avant le Brexit et les modalités de la conclusion de nouvelles relations d’affaires après le Brexit dans les domaines de la banque et des services d’investissement. Le groupe de travail a étudié plus particulièrement deux problématiques : le sort des contrats en cours et les conditions de la prestation de services bancaires et financiers post-Brexit.

En effet, ces contrats et activités, qui s’inscrivent aujourd’hui dans le cadre de la législation européenne, perdront au moins partiellement de leur effectivité du fait du Brexit. Le HCJP formule donc des recommandations afin d’accompagner au mieux cette transition.

Contrats en cours et perte du passeport européen

La première problématique relevée par le HCJP concerne le sort des contrats en cours conclus entre un établissement situé au Royaume-Uni et un client français. Ces contrats, conclus avant le Brexit mais dont l’exécution se poursuivra après, posent plusieurs difficultés du point de vue de la poursuite de leur exécution post-Brexit.

Est soulevée, en particulier, la question du passeport européen, qui permet à un établissement agréé à fournir divers services (services bancaires, de paiement ou de monnaie électronique ou services d’investissement) dans un État de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen (EEE), d’en fournir également dans d’autres États membres et ce, sans avoir à obtenir d’agrément. C’est sur son fondement que les établissements britanniques fournissent aujourd’hui de tels services sur le territoire français. La perte du bénéfice de ce passeport pour les établissements britanniques, automatiquement entraînée par le Brexit, provoquera une impossibilité pour ces entités de poursuivre leurs activités sur le territoire des États parties à l’EEE.

Le Haut comité distingue en particulier deux situations induites par la disparition du passeport européen pour les établissements britanniques :
– les contrats conclus pour la fourniture de services relevant de la sphère réglementée par le droit de l’Union, qui disparaîtra avec le Brexit ; dans ces cas, la poursuite de l’activité après le Brexit devra se manifester par la conclusion de nouveaux contrats avec les clients européens ;
– lorsque le prestataire disposait du passeport, les contrats valablement conclus avec des clients européens antérieurement au Brexit seront poursuivis ; dans ce cas, il conviendra, selon le HCJP de distinguer selon que la poursuite du contrat implique, ou non, la fourniture d’un service réglementé.

Le groupe de travail a donc effectué une étude détaillée analysant la continuité des différents contrats (voir annexe 1 du rapport, « Étude sur la continuité des contrats ») et en a conclu que la majorité des contrats bancaires et financiers ne soulèveront pas de difficultés quant à leur exécution.

Conditions de prestation de services

La seconde problématique est relative à la situation juridique des parties après le Brexit et aux mécanismes actuels permettant la prestation de services directe par les établissements britanniques qui ne disposent pas d’une filiale dans l’Espace économique européen. Le HCJP examine ainsi dans son rapport les dispositifs actuels rendant possible, directement ou indirectement, la prestation de services depuis le Royaume-Uni.

En matière bancaire, le droit de l’Union ne reconnaît pas l’équivalence du régime britannique avec le régime européen. Actuellement, les établissements britanniques fournissent des services en France via des succursales ou directement depuis le Royaume-Uni en libre prestation de services. Après le Brexit, ces établissements devront disposer soit d’un établissement de crédit (sous la forme d’une filiale ou d’une succursale, qui doit être agréée par le superviseur bancaire), d’un établissement de paiement ou d’un établissement de monnaie électronique en France, soit d’un passeport européen à partir d’une entité de son groupe établie dans un autre État membre. Cela leur permettra de poursuivre la fourniture de services bancaires en France sans discontinuité. Le recours à l’externalisation de certaines tâches, fonctions ou services auprès d’entités agrées situées dans l’Union européenne lui semble donc être une alternative envisageable.

En matière de services d’investissements, en plus des possibilités ouvertes par l’externalisation, un régime spécifique applicable aux pays tiers est prévu par l’Union européenne, offrant un accès simplifié aux marchés des États membres ainsi qu’au marché européen. Les établissements britanniques pourront notamment, par ce biais, rendre des services à des clients professionnels sur le territoire de l’EEE directement depuis le Royaume-Uni, sous réserve de l’obtention d’une décision d’équivalence délivrée par la Commission européenne.

Des efforts à poursuivre

Le HCJP formule dans son rapport plusieurs recommandations tendant à favoriser la continuité des services. Globalement, il invite à poursuivre l’« effort de convergence » en matière de législation européenne et d’application des textes par les autorités nationales, notamment sous le contrôle des autorités européennes. Il formule également trois grandes propositions.

En premier lieu, il souligne la nécessité de déterminer des critères clairs et simples permettant de déterminer les cas dans lesquels la restructuration post-Brexit d’une transaction en cours aboutit à la fourniture de la prestation caractéristique d’un service d’investissement. Dans certains cas bien déterminés (par exemple, un plan de restructuration de dettes d’entreprises en difficulté dans le cadre d’une procédure collective), le HCJP conseille de mener une réflexion sur un texte qui permettra d’assurer la continuité des contrats, dans un objectif de protection des clients.

Aussi, concernant les contrats en cours dont la poursuite impliquerait la fourniture de services réglementés qui n’auraient pas fait l’objet d’un transfert à une entité autorisée sur le territoire de l’EEE, le Haut comité préconise l’adoption de mesures relatives à l’encadrement de la gestion extinctive de ces contrats.

Enfin, le HCJP encourage les transferts d’activités au profit d’une localisation au sein de l’Union européenne. À cet effet, il recommande, par exemple, de faciliter la réplication des contrats-cadres de marché conclus avant le Brexit entre un client et un groupe bancaire. Ces réplications consistent, comme le précise le Haut comité dans son rapport, en une reprise des termes de la convention existante négociée entre le client et le groupe bancaire, dans un nouveau contrat qui serait conclu entre ce même client et une autre société, entité européenne, du groupe.
Source : Actualités du droit