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Haffide Boulakras, directeur du programme Procédure pénale numérique : « Le déploiement de la plateforme PLEX a été accéléré pour soutenir les plans de reprise d’activité des juridictions »

Tech&droit - Données
25/05/2020
Après une phase d’expérimentation de cinq mois, la plateforme PLEX qui permet l’échange de pièces pour le contentieux pénal a été déployée partout en France, le 12 mai 2020. Que permet-elle concrètement ? Cet outil peut-il aider les juridictions à résorber le stock de contentieux en matière pénale ? Quels sont les prochains développements prévus ? Le point avec Haffide Boulakras, directeur du programme Procédure pénale numérique.
Actualités du droit : Pouvez-vous expliquer, en quelques mots, ce qu’est la plateforme PLEX ?
Haffide Boulakras : PLEX, pour plateforme extérieure à l’Etat, est une plateforme d’échanges sécurisée, qui permet le transfert de fichiers volumineux entre acteurs de la justice, pour les contentieux pénaux, en première intention. C’est l’une des briques de la procédure pénale numérique (PPN).
 
Son objectif, c’est de faciliter la transmission de fichiers entre les acteurs du ministère de la Justice et ses partenaires et auxiliaires.
 
C’est une site internet qui est le pendant d’une autre plateforme, PLINE, qui partage la même finalité, mais en étant réservée aux agents du ministère de la justice et, en interne, à l’Etat.
 
Il s’agit d’un outil qui simplifie beaucoup les échanges et qui aide, tout à la fois, les juridictions mais aussi, bien sûr, les avocats. Ces derniers y ont en effet désormais accès, depuis le 12 mai 2020 et leurs retours sont vraiment très positifs.

 
ADD : Cette plateforme faisait l’objet d’une expérimentation depuis fin novembre 2019, est-ce bien cela ? Quel bilan a été dressé de cette 1re étape ?
H.B. : Les retours de cette expérimentation à Amiens et à Blois sont très bons, avec une progression significative de l’appropriation de la plateforme.
 
Sur chacun de ces deux ressorts, nous avons par mois une transmission aux avocats de 800 à 1 000 procédures via PLEX, ce qui représente une large majorité des échanges.
 

ADD : Qui concrètement peut se connecter à cette plateforme ?
H.B. : Du côté ministère de la Justice, l’ensemble des agents de la Chancellerie peut s’y connecter, et pour les échanges en particulier avec les avocats, tous les agents du service judiciaire (magistrats, greffiers, fonctionnaires).
 
Pour les autres acteurs, cela suppose une habilitation préalable. Il faut être intégré à un annuaire qui lui-même est raccordé à la plateforme pour y avoir accès (avocats, huissiers).
 

ADD : Comment fonctionne-t-elle, concrètement (volume des pièces échangées en octets, durée de vie, etc.) ?
H.B. : C’est très simple. Après le dépôt d’un fichier, PLEX émet un mail de notification qui invite le destinataire à venir se connecter. Ce que l’on a observé à Amiens et à Blois, c’est une connexion dans les 8 à 10 jours après l’envoi de ce mail, bien en deçà des 30 jours, donc. En l’absence de connexion, le fichier disparait.
 
Concrètement, les pièces échangées peuvent faire jusqu’à 1 giga octet, avec une modulation qui sera fonction de l’état de la plateforme et notamment de la visualisation des échanges : nous allons vérifier assez régulièrement le volume des échanges observés sur la plateforme, voir quelle est notre capacité de scalabilité et, à partir de là, monter jusqu’à 30 jours de délai de conservation, qui est le maximum technique.
 
 
ADD : Comment la sécurité est-elle garantie ?
H.B. : Les données sont chiffrées et transitent via les serveurs sécurisés de l’Etat. L’intégrité des fichiers déposés sur la plateforme est assurée au moyen d’un chiffrement (cryptage AES-256, algorithme standard sha256).
 
La différence entre PLINE et PLEX, c’est que pour PLINE, nous sommes vraiment sur le réseau interministériel. Pour PLEX, nous avons une exposition, à travers l’envoi d’un e-mail. Pour autant, PLEX a fait l’objet d’une démarche d’homologation auprès de l’ANSSI, actuellement en cours d’instruction.
 
 
ADD : Cela signifie que les avocats qui ne seraient pas connectés au RPVA ne pourront pas y avoir accès ? Quelle proportion d’avocats est donc concernée ?
H.B. : Nous avons vérifié, environ 50 000 avocats sont connectés au RPVA. Une très large majorité des avocats a donc accès à PLEX.

 
ADD : Cette date de lancement était-elle celle prévue dans la roadmap ou a-t-elle été avancée pour cause d’état d’urgence sanitaire ?
H.B. : La crise d’urgence sanitaire n’a pas provoqué l’apparition spontanée de briques applicatives. Le plan de transformation numérique du ministère nous avait conduit à les imaginer avant. Cette période a en revanche catalysé les efforts de toutes parts et permis d’accélérer la mise à disposition d’applications expérimentées et jugées utiles.
 
À ce titre, le déploiement de la plateforme PLEX a été accéléré pour soutenir les plans de reprise d’activité.
 
Le dispositif technique devait être finalisé, du côté du ministère de la Justice, pour la fin avril, en toute hypothèse, mais nous avions dans notre feuille de route prévu un déploiement sur un temps plus long et imaginé une construction technique plus complexe grâce à l’intervention du CNB. Nous avons décidé de prendre à notre charge, et légitimement dans le temps de l’urgence, tous les travaux techniques de finalisation et avons accéléré le déploiement de cette plateforme.
 
 
ADD : Cela signifie que si elle avait pu être lancée plus tôt, les problèmes qu’ont connus les greffiers pendant le confinement, qui n’ont pas pu traiter à distance les dossiers, n’auraient pas existé, au moins pour le contentieux pénal ?
H.B. : Nous avons comparé le fonctionnement des deux juridictions qui ont testé PLEX et les outils de la procédure pénale numérique, avec celui des autres juridictions.
 
Tout en soulignant que le contentieux pénal a été un peu moins touché, ce qui a été remonté par les villes d'Amiens et de Blois qui ont testé PLEX, c’est que PLEX et les outils de la procédure pénale numérique, dans leur ensemble, ont largement favorisé la résilience et la continuité de la chaîne pénale face à l’état d’urgence sanitaire.
 

ADD : L’usage de PLEX est apparemment limité à la période de l’état d’urgence sanitaire : pour quelles raisons ?
H.B. : Pour l’instant, c’est l’accord qui est trouvé avec le Conseil national des Barreaux (CNB). Ce dispositif est donc limité à l’état d’urgence sanitaire. Il est donc prévu, pour l’instant, que cette plateforme ne soit disponible que jusqu’au 10 juillet 2020.
 
Ce qu’il faut dire, également, c’est que les travaux techniques ont été réalisés en collaboration avec le CNB. Et dans le temps de l’urgence, le CNB n’avait pas la possibilité d’effectuer toutes les interventions nécessaires. Le ministère de la Justice a donc pris à sa charge les travaux techniques en récupérant la table nationale des avocats qui était envoyée auparavant sur un autre flux, que nous avons donc dérivé vers la plateforme PLEX.
 
PLEX est un outil qui, je pense, sera amené à se pérenniser, dans l’intérêt des avocats, des magistrats et des greffiers.
 
La prochaine étape, pour être certains que ce dispositif fonctionne dans des conditions correctes, c’est de pérenniser les travaux techniques qui ont été réalisés rapidement, en raison de l’état d’urgence sanitaire. Autrement dit, il va nous falloir revoir le dispositif réalisé afin, également d’intégrer une vraie communication électronique pénale entre les avocats et les juridictions, qui intègre PLEX, mais pas seulement.
 
Nous avons la capacité de le faire et la volonté d’y parvenir est partagée.
 

ADD : PLEX est l’une des briques de la procédure pénale numérique : où en est le déploiement des autres briques ?
H.B. : Rappelons que la procédure pénale numérique a pour finalité de faire en sorte qu’il n’y ait plus jamais de papier dans la chaîne pénale, (de l’envoi à la réception, en passant par le stockage, tout serait dématérialisé, sans aucun papier).
 
Il y a un seul arbre, la procédure pénale numérique, et deux branches : la branche classique, avec le déploiement de la PPN tel qu’on l’avait imaginé pour les juridictions. A savoir, des tribunaux et des cours choisis en fonction de leur état de maturité numérique, dans lesquels on décide d’avoir, du ministère de l’Intérieur à destination de l’autorité judiciaire, une transmission de la procédure pénale sous format numérique natif. Ce qui signifie, agrégation en juridiction des éléments de procédure grâce à une signature électronique, stockage sur un objet de stockage sécurisé, transmission des pièces sous format numérique, puis, par la suite, audiences numériques. Bref, un ensemble complet et cohérent.
 
Il y a désormais, également, une seconde branche, apparue au gré des plans de continuité d’activité (PCA) et des plans de reprise d’activité (PRA). Ces plans nous ont, en effet, amenés à établir une autre stratégie, complémentaire : servir toutes les juridictions avec de objets aidants. L’état d’urgence sanitaire aura donc été un accélérateur de la transition numérique des juridictions, côté dématérialisation de la chaîne pénale. Ainsi, pour les juridictions moins avancées côté infrastructures techniques (à peu près la moitié des juridictions), nous n’allons pas chercher à déployer en une seule fois une chaîne pénale entièrement dématérialisée. L’objectif sera ici de servir les besoins et usages sans attendre que la PPN soit déployée intégralement, de manière pure et parfaite. En quelque sorte, il s’agit de mettre à disposition de ces juridictions des objets numériques, un peu sur le modèle de PLEX, pour qu’elles puissent s’en saisir, en fonction de leurs besoins.
 
Si l’on prend l’exemple de la signature électronique, qui est une demande des juridictions, elle a tout son sens dans un monde où la PPN est déployée totalement. Mais, en pratique, nous allons non seulement mettre à disposition cet outil dans les juridictions qui déploient une PPN pure et parfaite, mais également le déposer dans les juridictions qui en ont exprimé le besoin. Une brique accessible via le bureau pénal numérique, un bureau métier virtuel.
 
 
Propos recueillis par Gaëlle MARRAUD des GROTTES
Source : Actualités du droit